Atlas des paysages
Département de l'isère

Représentations sociales paysagères

Edouard Brun, le Lac Merlat, et la Grande Lauzière. Massif de Belledonne, 1901. Ville de Grenoble Musée de Grenoble –J.L. Lacroix

À travers ce chapitre, il s’agit de comprendre la manière dont les paysages isérois sont perçus dans l’imaginaire collectif, de l’intérieur, par ses habitants, et de l’extérieur, par ses visiteurs. Les représentations sociales regroupent les « images » auxquelles renvoient les paysages du département, qui peuvent donner lieu à des actions, publiques ou privées, en matière d’environnement, d’économie, d’urbanisme, d’agriculture, etc. dans les domaines du cadre de vie ou du tourisme par exemple. Elles sont donc fondamentales pour envisager l’aménagement et faire des choix pour l’avenir du territoire.

Les représentations sociales sont regroupées par thématiques, sans classement par ordre d’importance. Certaines thématiques relèvent de différents faits historiques et se sont inscrites peu à peu dans les représentations iséroises. Elles sont illustrées par des faits marquants de leur évolution.

L’analyse ne se veut pas exhaustive et porte sur les traits principaux des représentations sociales. Elle est issue :

  • de représentations picturales et iconographiques (peintures, affiches, cartes postales, sculptures, etc.),
  • de documents littéraires ou touristiques
    (guides verts, magazines, sites d’office du tourisme, etc.)
  • de faits concrets ayant marqué l’Histoire iséroise.

Des paysages ...

Les paysages isérois font l’objet de représentations sociales à caractères multiples, liées à leur grande diversité. Parmi ces représentations, celle de paysages ruraux, d’une campagne au relief doux, collinaire et vallonné tient une place importante.

Contrairement aux idées reçues, et peut-être à la perception globale d’un territoire de montagne, la partie la plus habitée est celle du nord du département, disposant d’une géographie de plaines, de collines et de vallons relativement bas en altitude.

Le réseau de cours d’eau largement développé, les boisements qui l’accompagnent, souvent tramés en cordons spontanés ou en haies, ainsi que l’occupation du sol par l’agriculture et l’élevage, confèrent alors aux paysages une représentation bucolique et champêtre, assez éloignée de la haute montagne sauvage et indomptable.

Différents traits de caractère paysagers et événements historiques sont à l’origine de cette représentation, trouvant leur assise dans les particularités géographiques du grand ensemble des plaines et collines rhodaniennes.

La ville de Vienne, capitale des Allobroges et moteur isérois de l’antiquité

C’est en -400 avant J.-C. que la ville de Vienne connaît un essor considérable, devenant la capitale du territoire des allobroges, peuple celte venu s’installer en ces lieux considérés comme stratégiques et accessibles, par leur topographie et leur réseau hydrographique.

À partir de cette époque, les hommes ne quittèrent plus les lieux, contribuant, par leur histoire, à l’ancrage des paysages des plaines et collines rhodaniennes dans les représentations sociales paysagères du département de l’Isère.

 

Paysages frontaliers

Le Viennois, puis Dauphiné, pour être enfin renommé en Département de l’Isère, est également un territoire de croisement de flux de circulations, en raison du contexte géographique favorable déjà évoqué, fluvial : Rhône, Isère ; et terrestre : vallons et collines douces, à proximité de grandes entrées dans le massif alpin, comme la cluse de Voreppe, également appelée « porte des Alpes » (entre les massifs de la Chartreuse et du Vercors).

Il bénéficie également d’une situation proche de différentes provinces ou pays administrés, comme la Savoie, le Briançonnais, la Suisse et l’empire romain.

Aujourd’hui, bien que les territoires et leurs administrations aient changé, le Département de l’Isère reste au carrefour de ces flux et à cheval entre les hautes montagnes des Alpes et les reliefs français plus bas, entre la Suisse et l’Italie.

 

La campagne en peinture

Les paysages de la campagne vallonnée ont fait l’objet de quelques représentations picturales de peintres connus, ayant ainsi participé à la représentation globale des paysages isérois comme étant composés de paysages de campagne.
Parcourant principalement le nord du département, les peintres ont su porter à la connaissance collective les paysages des Terres froides, des balcons du Dauphiné ou encore de la plaine de Bièvre et de la Côte-Saint-André, territoires privilégiés par la douceur des paysages, le vallonnement du relief qui offre des vues lointaines sur une toile de fond composée des silhouettes des premiers massifs montagneux.

Sommets de la chaîne de Belledonne et lacs du massif des Grandes Rousses

La montagne est incontestablement un des éléments essentiels des fondements socio-culturels du département de l’Isère, en elle-même et pour tout ce dont elle est à l’origine, dans de nombreux pans de l’histoire et de la culture iséroise. Elle est fondatrice de ses représentations locales et nationales, voire internationales.

Bien qu’elle ne soit pas le reflet à elle seule de la réalité des paysages isérois, la montagne résonne dans la plupart des esprits comme leur principale caractéristique. Tout d’abord, les premiers massifs montagneux que l’on aperçoit en pénétrant le territoire de l’Isère, et même plus généralement les Alpes. Ils sont caractéristiques par leurs formes et s’il est parfois difficile de distinguer certains massifs ou monts des Alpes, nombreux sont ceux qui reconnaîtront les massifs du Vercors et de la Chartreuse. Dans la littérature, les magazines, les guides touristiques ou encore à travers les discours des personnes interrogées dans le cadre de l’actualisation de l’Atlas, la fameuse « Porte d’entrée des Alpes », la cluse de Voreppe, revient régulièrement comme une carte postale évidente, représentative du département, et marque un basculement dans le monde de la montagne.

La montagne fait écho aux paysages isérois de différentes manières, que se soit pour son caractère sauvage et impressionnant, les loisirs, l’exploitation de ses ressources et les produits gastronomiques qu’elle fournit, ou encore à travers les peintures qui la représentent (voir chapitre La montagne en peinture).

La montagne exploitée pour ses ressources

L’exploitation de la montagne pour ses ressources, minières particulièrement, fait partie des activités les plus anciennes qui renvoie des représentations des paysages isérois, avec la présence prouvée de la tribu des Ucènes en Oisans, au 7ème millénaire avant J.-C..
En effet, les premières traces d’exploitation minières, d’extraction de cuivre, datent l’activité à l’âge du Bronze, en -2000 avant J.C., situées à Vaujany en Oisans. Mille ans plus tard, des objets de bronze étaient déposés à Villard-d’Arêne, à plus de 1900 mètres d’altitude.

 

La montagne, crainte et sublimée, une destination de loisirs

L’Isère, berceau de l’alpinisme

L’exploration de la montagne, puis les premières activités de loisir, ont fortement participé au renouvellement des représentations sociales paysagères de la montagne en général et iséroise en particulier. Mais contrairement à ce que l’on peut penser, les premières activités de loisirs ne sont pas liées uniquement à l’avènement du tourisme au XIXème siècle.

Un des événements marquants de l’histoire de la montagne en France s’est situé au XVème siècle. Il s’agit de l’ascension du Mont-Aiguille , autrefois appelé « Mont inaccessible », le 26 juin 1492, par Antoine de Ville, capitaine du roi Charles VIII, missionné sur son ordre. Pendant que certains partaient à la découverte des Amériques, d’autres partaient à l’ascension des monts jusqu’à lors reconnus inaccessibles, comme le montre cette gravure célèbre du Mont-Aiguille, intitulée « Supereminet Invius » : « Il se dresse, inaccessible ».

Depuis, le département de l’Isère est reconnu mondialement pour la pratique sportive : le Mont-Aiguille, la Meije, le Taillefer, le pic de Belledone, le grand Veymont, etc. sont autant de sommets rendus illustres par la pratique de l’alpinisme.

 

Le premier tournant du tourisme

La victoire de l’homme sur les hauts sommets illustre de manière évidente la naissance du modèle paysager du sublime : le sublime, c’était avoir pu sublimer sa peur, se rendre maître de la nature, devenir plus puissant qu’elle.
Dès lors, le sublime a largement fait évoluer les représentations socioculturelles de la montagne et notamment de l’Isère. La fréquentation du territoire s’est vu considérablement augmenter, devenant un territoire visité et une des destinations les plus prisées pour la villégiature des citadins, avant tout de classe aisée. La création du Touring club de France (1890), la naissance des Guides Michelin et des guides verts (1920 – 1926) et les nombreuses affiches des sociétés de chemins de fer françaises ont alors participé au renouvellement des représentations sociales paysagères de la montagne. De même, et fortement liée à ces événements, la naissance des premières protections d’éléments naturels patrimoniaux et des sites classés et inscrits ont concouru à la nouvelle image de la montagne iséroise.

La montagne en peinture

Ce n’est qu’à partir du XVIIIème siècle que l’on peut légitimement évoquer un enracinement de l’art pictural en Dauphiné, avec la création précoce d’une école de peinture et d’un musée à Grenoble. C’est tout au long du siècle suivant que se développera une vraie tradition, à travers laquelle tous les genres seront représentés, dont la peinture de montagne.

Rayonneront alors les maîtres dauphinois, les uns natifs du pays, les autres installés. Tous entretiendront des relations avec de grandes capitales de l’art, Paris au premier rang. Ce mouvement se perpétuera au long du XXème siècle, jusque dans la création contemporaine, très vivace aujourd’hui.

Auparavant, la montagne n’était que peu l’objet de la peinture en raison de la peur qu’elle suscitait. Mais à partir des années 1780-1790, les peintres se sont emparées de la montagne et ont découvert un objet de peinture qui s’est largement imposé (cf. exposition sur les paysages de montagnes en Suisse, Pinacothèque de Lugano, Villa Favorita, 1991).

Parmi les peintres renommés ayant œuvré en Isère, entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème dans le style impressionniste des peintures de paysages, on trouve : Charles Bertier, André Léon Albertin, Ernest Hareux, Laurent Guétal, Diodore Rahoult, Henri Blanc-Fontaine, Édouard Brun, Jean Achard, Jacques-Louis Gay et Théodore Ravannat.

 

Les écoles de Proveysieux et de Morestel

Les points de vue utilisés pour peindre la montagne sont très divers et n’appartiennent pas qu’aux territoires de montagne. Le mouvement impressionniste développé en Isère s’enracina notamment en deux lieux reconnus. En 1863, Théodore Ravanat, ancien élève de Jean Achard, s’installa à Proveysieux, bourg de Chartreuse à proximité de Grenoble, où il rassembla ses amis peintres pour former l’école dite « de Proveysieux ». Ce lieux fût connu pour l’émulation qu’il entraîna et restera gravé dans la mémoire collective iséroise comme un foyer d’impressionnistes qui marqua son temps et l’Histoire de la peinture.
Peu après, c’est à Morestel, bourg du nord du département nommé « la cité des peintres », que François-Auguste Ravier, y ayant établi son atelier, forma l’école dite de Morestel. Face au Mont Bugey, la Chartreuse et le Vercors en toile de fond, les artistes de passage à Morestel (comme également Camille Corot et Turner) inscrivirent une fois de plus le Dauphiné dans l’Histoire de la peinture.

Le renouvellement du tourisme de montagne en isère : nouvelles images et le développement de sa fréquentation

Les sports et loisirs de montagne, les stations de ski et la spéléologie

Si l’alpinisme est le sport emblématique de la montagne, le plus pratiqué aujourd’hui est le ski, qui participe fortement à la construction de la culture iséroise. Au-delà de la pratique en elle-même, qui attire des skieurs du monde entier et fait la renommée du département, certains événements ont influencé ses représentations socioculturelles. On peut citer par exemple les jeux olympiques d’hiver, qui s’y sont déroulés en 1968, au cours desquels la France a remporté de nombreuses médailles pour finir vainqueur des jeux.

Les infrastructures créées à l’occasion et la communication qui a été faite sur le sujet a permis à l’Isère de s’ancrer dans les esprits comme un territoire aux paysages montagneux privilégiés, des paysages d’hiver couverts de neige, tels que de nombreux peintres les avaient déjà mis en lumière.

 

Le changement climatique, vers une utilisation de la montagne aux quatre saisons

Aujourd’hui, de nouvelles pratiques sportives de la montagne sont mises en avant, allant vers des activités de loisirs de montagne toute l’année. La randonnée, le VTT, le parapente, mais aussi l’accrobranche, la tyrolienne, la luge d’été, le ski-roue, voire même la baignade dans les lacs d’altitude, sont de plus en plus proposés et organisés dans les stations de ski. La culture de la montagne connaît donc un tournant majeur depuis quelques années, avec l’engouement et la demande sociale d’un tourisme vert, « éco-responsable ».

Les opérateurs des stations de ski, voyant la fréquentation hivernale baisser, cherchent à donner une nouvelle image de la montagne et créer une attractivité qui ne dépende plus seulement de l’enneigement de la saison hivernale.

Le changement climatique est une des raisons les plus évidentes de cette évolution : manque de neige en hiver, température croissante et épisodes caniculaires réguliers en été ont poussé les usagers de la montagne à répartir leur fréquentation de la montagne sur toute l’année. On peut même constater que le public de la montagne change, qu’il ne s’agit plus d’un territoire destiné au sport mais aussi à une fréquentation contemplative, profitant simplement des paysages et du climat. Le paradigme de la montagne en hiver se transforme complètement, ses représentations socioculturelles avec. On assiste au passage de la montagne « du blanc au vert » : les paysages de la montagne iséroise ne sont plus seulement couverts d’un manteau blanc, ils verdissent de plus en plus, lorsque l’on y pense en fermant les yeux.

L’eau dans sa diversité

Si l’eau apparaît sous de nombreuses formes en Isère, c’est avant tout aux paysages de montagne qu’elle est associée, par son caractère impressionnant et sa force. Les trois grandes rivières du département illustrent bien cette caractéristique, l’Isère, le Drac et la Romanche.

Toutefois, on peut citer le célèbre lac de Paladru, situé en nord-Isère, au cœur de paysages de collines vallonnées, comme un marqueur essentiel des représentations sociales paysagères iséroises. Évoqué comme marqueur de la thématique des premières occupations, il contribue logiquement à la thématique des paysages de l’eau, pour l’ancrer dans toute sa diversité dans les paysages isérois. On peut aussi citer les lacs de Laffrey, de Monteynard-Avignonet ou encore les étangs des forêts de Bonnevaux et de Chambaran, créés pour la pisciculture par les moines des Abbayes pour la pisciculture et les verreries, qui forment des ensembles très spécifiques du réseau hydrographique isérois. Il en est de même avec les étangs du nord du département, dans les balcons du Dauphiné, qui forment des chapelets en fonds de vallées, espaces naturels protégés pour leur faune et la biodiversité qu’ils génèrent.

Toutes ces spécificités composent les représentations des paysages de l’eau en Isère et de sa diversité reconnue et affirmée.


L’eau et ses équipements

L’eau peut produire des représentations très diverses, des modèles paysagers du bucolique au sublime, en passant par la peur et le fonctionnel. Mais en Isère, c’est sans doute un mélange de tous ces modèles qui ont forgé les représentations socioculturelles. Malgré cela, les cours d’eau étant particulièrement difficiles à maîtriser, comme l’Isère, le Drac ou la Romanche, la peur des risques engendrés par l’eau a traversé le temps, marquant l’histoire irrémédiablement.

Il est donc incontournable de mettre en lumière les paysages créés par les équipements et ouvrages construits dans le but de maîtriser les aléas de l’eau, comme les digues, les canaux, etc. qui peuvent également l’exploiter, comme les barrages hydro-électriques, assez nombreux dans le département. On peut évoquer celui du Chambon sur la Romanche, mais il en existe bien d’autres sur d’autres cours d’eau et notamment sur l’Isère même. C’est à ce sujet qu’il faut mentionner l’histoire singulière des barrages, illustrant bien la relation des isérois à leur territoire, histoire contrainte par le contexte géographique particulier du département.

La culture du risque

Les inondations historiques

Dans l’imaginaire social, l’eau reste souvent associée aux paysages de montagne, notamment à travers les événements historiques auxquels elle est liée, depuis le Moyen-Âge, voire avant, jusqu’à aujourd’hui.

Parmi les plus mémorables, quelques inondations historiques ont profondément marqué les esprits et particulièrement ceux de l’agglomération grenobloise, dont les abords sont aménagés pour prévenir et palier à ce type d’événement.

La vallée de la Romanche est à l’origine du premier et sans doute la plus importante des inondations, par les dégâts occasionnés et le nombre de morts causé, qui s’est déclenchée au XIIIème siècle. Durant la nuit du 14 au 15 septembre 1219, l’inondation qu’a connue la plaine de Grenoble s’est produite par la rupture d’un barrage naturel formé au sud-est de Grenoble. Cette catastrophe est notamment à l’origine du symbole de la statue du Lion et du Serpent, située en plein cœur de Grenoble, ravageant toute la ville pourtant fortifiée, et entraîna une lutte pour maîtriser les deux rivières traversant la ville, l’Isère et le Drac, qui ne s’achèvera qu’au début du XIXème siècle.

Cette lutte mis en œuvre divers travaux gigantesques de prévention, canaux, digues, fortifications, barrages, etc. dont les plus importants ont été réalisé par François de Bonnes de Lesdiguières, maréchal et dernier connétable de France entre 1622 et 1626.Malgré les importants travaux qui durèrent des dizaines d’années, une autre inondation catastrophique survient au XVIIIème siècle, faisant une nouvelle fois de nombreux morts et des dégâts considérables.

Comme évoqué, de nombreux aménagements jouent aujourd’hui encore un rôle actif dans la lutte contre les inondations, que se soit à Grenoble ou ailleurs, sur l’Isère, le Drac et leurs affluents. Les esprits en sont très marqués et ces événements contribuèrent à forger une culture du risque parmi les plus fortes en France, dont de nombreux territoires se nourrissent pour aménager leurs cours d’eau.

 

Les risques liés à la montagne

Hormis les inondations, de nombreux autres risques ont contribué à cette culture. Les risques sismiques en premier lieu, en raison de l’instabilité de la chaîne alpine, qui provoquèrent quelques dégâts sans grande gravité, grâce aux techniques et aux dispositifs locaux, notamment dans les domaines de l’architecture et des infrastructures routières.

Mais on peut aussi citer tous les risques liés à l’érosion, les éboulements, les avalanches, qui font le cœur du travail des équipes de Restauration des Terrains de Montagne. Ce travail mène à de nombreuses transformations des territoires, comme la plantation de forêts, la mise en place de barrages d’altitude, visibles dans les paysages et marquant les consciences.

 

Les risques industriels

Le patrimoine industriel isérois est lié, entre autres, à certaines activités appelées « à risque », comme les industries chimiques, métallurgiques, hydro-électriques, etc. Au-delà des risques des activités en elles-mêmes qui marquent encore les consciences, leurs conséquences indirectes sont aussi, parfois, à l’origine de cette culture, marquant l’histoire iséroise d’événements mémorables, comme les villages submergés par les lacs des barrages de Chambon ou du Monteynard, ou d’autres encore.

Plus récemment, le Commissariat à l’énergie Atomique, siège des centres atomiques français, s’ajoute aux motifs à l’origine de la représentation de la culture du risque.

Tous ces éléments, plus ou moins visibles dans les paysages isérois, ont fortement compté et comptent encore dans la construction de la culture du risque du département.

L’agriculture est un thème incontournable des paysages isérois. Présente dans tout le département, que ce soit en plaine ou en altitude sur les alpages, elle a fortement participé à forger ses représentations sociales paysagères, à travers divers événements, éléments paysagers et productions gastronomiques.

Une agriculture de montagne, avec un élevage bovin ou ovin fortement développé en moyenne montagne et dans les alpages où se pratique encore la transhumance. Mais aussi dans les parties basses, en plaine ou dans les collines du Nord-Isère, comme les Terres froides qui ont longtemps été le bassin laitier du département.

Parmi les événements liés à l’agriculture, comme les foires agricoles au bétail qui sont organisées dans de nombreux villages, dénommés « Comices agricoles », un des plus célèbres reste celui de la Foire de Beaucroissant, créée en 1219. Encore active aujourd’hui, elle est connue nationalement et a sans aucun doute participé à la représentation des paysages isérois comme des paysages agricoles renommés.

 

Les productions agricoles patrimoniales de l’Isère

Les productions gastronomiques concourent également à fabriquer des images de paysages, notamment à travers les étiquettes qui les ornent, prenant souvent appui sur des éléments paysagers caractéristiques.

La noix de Grenoble

Célèbre et concurrente de celle de Dordogne, avec les variétés « Franquette » ou « Maillette », notamment. Les vergers de noyers sont établis dans la vallée de l’Isère, au sud-ouest de la cluse de Voreppe.

Le Saint-Marcellin, le Saint-Félicien et le Bleu du Vercors-Sassenage

Les fromages sont les produits les plus répandus, représentatifs de paysages divers, les aires des AOP étant très étendues. C’est le cas du Saint-Marcellin, dont l’aire de production comprend des territoires de plaine, autour de la ville de Saint-Marcellin notamment, et des territoires de montagne, comme le Vercors, également producteur du Bleu.

La liqueur de Chartreuse

Produite par les moines chartreux jusqu’en 2017, le lieu de distillerie se situe aujourd’hui à nouveau en Chartreuse. On y produit une liqueur à base de plantes du Massif de la Chartreuse, dont la composition est tenue secrète par les moines.

Fleuron national à la pointe de l’innovation

Parmi les caractères socioculturels du département, il est essentiel de mentionner l’innovation dans les domaines industriel et technologique. De nombreuses technologies sont issues de savoir-faire développés en Isère, liées aux spécificités géographiques du territoire, que les paysages relayent. Parmi elles, on peut citer :

L’hydroélectricité

Liée au réseau hydrographique particulier, notamment doté de rivières torrentielles issues des montagnes.

 

Le ciment

Lié à la géologie et à la géomorphologie des massifs calcaires de moyenne montagne (comme l’indiquent les carrières de la Chartreuse) facilitant l’exploitation et la production du ciment, dont les entreprises Vicat font figure de proue, Louis Vicat ayant identifié le phénomène d’hydraulicité des chaux en 1817 et celle des ciments en 1840.

 

La métallurgie

Comme évoqué dans le chapitre des premières occupations, les montagnes iséroises sont pourvues d’un sous-sol riche en différents minerais, qui furent exploitées dès l’Âge du Bronze par les populations néolithiques, particulièrement en Oisans. Depuis, la culture de l’exploitation et la production des métaux a perduré, jusqu’à aujourd’hui, et reste parmi les fleurons de l’industrie française.

 

Les industries chimiques actuelles et les industries textiles d’autrefois

sont également à compter parmi les industries iséroises à résonance nationale et internationale. Si elles sont moins liées aux caractéristiques géographiques, elles sont visibles dans les paysages par les usines et les manufactures, nombreuses dans le territoire, dont certaines sont dotées d’un caractère architectural patrimonial (voir le chapitre sur le bâti patrimonial) et contribuent, elles aussi, à écrire l’histoire socioculturelle iséroise.

La révolution française

L’événement le plus marquant fût celui des États Généraux tenus à Vizille le 21 juillet 1788. Cette assemblée fait suite à la Journée des Tuiles du 7 juin, suivie par l’assemblée des notables des trois ordres le 14 juin à l’Hôtel de Lesdiguières de Grenoble. 50 prêtres, 165 nobles et 276 représentants du Tiers-État se sont réunis sans autorisation royale, pour lancer un appel à la nation tout entière afin de définir un nouvel ordre politique.

L’assemblée réclame la réunion rapide des États-généraux du royaume avec doublement du tiers état. Entre autres, elle déclare que les impôts seront refusés jusqu’à leur vote par les Etats généraux, et réclame le rétablissement des parlements. Réunie six mois avant la convocation des États généraux de 1789, cette assemblée est le prélude à la Révolution française.

Aujourd’hui, le château de Vizille reste un symbole isérois, accueillant le musée de la Révolution française. On y trouve notamment les toiles du peintre Alexandre Debelle de l’Assemblée de Vizille et ses trois ordres et de l’émeute de la Journée des Tuiles.

 

La résistance lors de la seconde guerre mondiale

La résistance lors de la seconde Guerre Mondiale est un symbole des paysages du Vercors, de la Chartreuse ou encore des Chambaran.

Les traces d’événements tragiques sont perceptibles dans les paysages par la présence de monuments dédiés, comme la nécropole de Saint-Nizier-du-Moucherotte, située à l’emplacement même des combats opposant les résistants aux nazis les 13 et 15 juin 1944, ou encore le musée et mémorial aménagés dans le massif de la Chartreuse à l’honneur des soldats de montagne, faisant jouer aux paysages leur rôle de palimpseste.

 

Tous ces faits contribuent à une représentation collective, un imaginaire social de l’Isère et de ses paysages. Les représentations sociales des paysages du département se trouvent ainsi marquées par une histoire culturelle riche et abondante qui dépasse largement celle de l’Isère même, comme le montrent ces événements d’ampleur nationale.

La flore alpine

La flore iséroise est connue pour sa richesse en espèces végétales. Particulièrement en Oisans, massif montagneux soumis à l’influence des climats continentaux et méditerranéens. C’est dans le massif de l’Oisans que l’on trouve aussi des edelweiss, dans les fonds de vallée et sur le plateau d’Emparis, ou le génépi qui sert à produire la liqueur du même nom. Une multitude d’autres espèces font partie du cortège végétal des milieux écologiques et des paysages isérois, que l’on estime à plus de 6000. Ces espèces sont répertoriées dans le célèbre jardin du Lautaret, qui, bien que situé dans le département voisin des Hautes-Alpes, à quelques kilomètres de l’Isère, a été créé et reste aujourd’hui géré par les botanistes de l’Université de Grenoble, en particulier par l’Institut des Études Alpines.

On peut également affirmer que la flore de l’Isère fait partie du patrimoine naturel national, tant elle est originale en raison de son caractère endémique d’un territoire soumis à différents types de climats.

 

Les forêts

Par leurs spécificités locales, les forêts iséroises font également partie du patrimoine naturel national, comme la forêt de Chartreuse, rare forêt de France à produire du bois labellisé par une Appellation d’Origine Protégée. Les spécificités et les étendues des forêts iséroises leur confèrent une place de choix parmi les représentations socioculturelles iséroises, faisant percevoir des paysages boisés de résineux et de feuillus.

Le fort courant naturaliste émergeant depuis quelques années favorise cette représentation de territoire de forêts spontanées, en évolution naturelle, tant au niveau local que national. Mais la forêt iséroise est entièrement gérée par l’Homme, sans quoi ce patrimoine ne serait sans doute pas d’une telle qualité.

Il est particulièrement important de souligner cette représentation naturaliste, à l’origine de conflits d’usages de la forêt, souvent perçue comme dégradée aux yeux des promeneurs et des pratiquants de loisirs.

Par ailleurs, la représentation de la forêt iséroise tend à évoluer par l’action en cours du changement climatique. La forêt iséroise est aujourd’hui perçue comme une forêt de sapin et d’épicéa majoritairement, mais l’avenir prévoit un changement d’espèces notable, actuellement en expérimentation, comme avec le cèdre de l’Atlas. Les expérimentations concernent la migration d’espèces méditerranéennes vers les alpes, mais aussi des migrations entre étages alpins : ainsi les forestiers font remonter les épicéas, les sapins, les mélèzes, les chênes locaux part endroits, et testent d’autres essences d’autres parts. Alors que restera-t-il des paysages de hêtraies-sapinières et d’épicéas dans les esprits des générations futures ?

Châteaux et maisons-fortes

Le nord du département, particulièrement les collines du Rhône dauphinois et les Terres froides, est fortement pourvu en châteaux, maisons-fortes et autres éléments du patrimoine bâti local, marquant les paysages et leurs représentations sociales. Par ailleurs, ces éléments renvoient des images de paysages patrimoniaux, souvent associées à leur caractère champêtre, dans un contexte de campagne au relief relativement doux et peu élevé.

 

Le patrimoine industriel

L’Isère a toujours été un département dynamique et riche en activités économiques et industrielles. De nombreuses usines ont été construites avant le XXème siècle, dans l’état d’esprit de l’ingénierie de l’époque, portant une attention particulière à la qualité architecturale et au contexte paysager. Il en ressort un nombre important de bâtiments à caractère patrimonial, dont la perception est accrue par la renommée des industries, comme les usines et les centrales de la vallée de la Romanche, du voironnais, ou encore les manufactures de textiles des Terres Froides liées à l’industrie textile lyonnaise, les papeteries, etc.

 

Le savoir-faire du pisé et la construction en terre crue

Bien que le pisé soit une technique de construction relativement répandue en France, le département de l’Isère fait partie des territoires les plus avancés en la matière, connu comme une référence dans tout le territoire national. Il s’agit d’un savoir-faire local encore très travaillé, par les architectes et constructeurs locaux comme par les scientifiques, dont plusieurs laboratoires de recherche du CNRS installés à Grenoble sont spécialistes. Le patrimoine vernaculaire isérois en est composé en grande partie, en raison de la structure des sols qui s’y prête, particulièrement dans le Nord-Isère, dans les

Terres froides, les balcons du Dauphiné, les collines du Voironnais, ou encore les plaines de Bièvre et du Liers.

Le rayonnement de ce patrimoine et son savoir-faire est tel qu’il fait écho bien au-delà du département, jusqu’au niveau international, marquant incontestablement les représentations sociales paysagères de son empreinte.