« La vallée de la Romanche, profondément creusée par les glaciers entre Belledonne et Grandes Rousses au nord, Taillefer et Oisans au sud, présente un profil en auge caractéristique. Axe de liaison vers Briançon par le col du Lautaret, la vallée est surtout un axe de pénétration dans le massif de l’Oisans ».
La vallée de la Romanche est caractérisée par un fort contraste paysager entre la partie aval, qui est très encaissée, sombre et escarpée (commune de Livet-et-Gavet) et la large plaine de Bourg-d’Oisans, sculptée par un ancien lac glaciaire. Le verrou de l’Infernet forme un coude reliant ces deux parties de l’ensemble paysager. Ancien barrage naturel formé par un éboulement au coeur de ce resserrement rocheux, il a cédé en 1219, vidangeant brutalement le Lac Saint-Laurent et créant une crue historique jusqu’à la ville de Grenoble.
Dans le fond de la vallée, l’eau est présente principalement sous la forme d’un large cours d’eau : la Romanche pouvant s’étendre en canaux d’irrigation dans la plaine des Sables. En lien avec l’eau, les parcelles agricoles, cultivés et pâturées, occupent principalement la Plaine de Bourg-d’Oisans. Les risques naturels, comme le célèbre éboulement de Séchilienne, font partie intégrante des paysages de la vallée.
De manière générale, les populations se concentrent dans le fond de la vallée, sous la forme de petites villes reliées par l’axe de communication principal, la RN 91, où l’urbanisation est dense et groupée. Quelques villages et hameaux, installés à mi-pente ou sur des replats ensoleillés, dominent la vallée mais dont l’accès n’est pas toujours aisé.
Les infrastructures industrielles et hydroélectriques ont façonné le paysage et le tissu urbain de la vallée et occupent une grande partie du territoire disponible. L’essor économique de la vallée est très prégnant encore aujourd’hui et offre au territoire un patrimoine industriel spécifique.

« Travaillant sur la Romanche, j’ai la chance de pouvoir l’observer et la voir évoluer chaque jour, en toutes saisons et au rythme de ses humeurs.
Comme chaque matinée, mes journées démarrent par la réalisation de relevés et de vérifications diverses sur l’ensemble des barrages de la Romanche présents à Livet-et-Gavet mais également sur les lacs matheysins. Lors de ces temps de maintenance matinale, plusieurs points d’observation sont effectués: contrôle du débit, nettoyage des grilles en amont des installations, vérification de l’état et du bon fonctionnement des ouvrages (digues, vannes, etc.). Le niveau d’eau des lacs est également mesuré minutieusement pour s’assurer de l’étanchéité des retenues et détecter de potentielles fuites.
Sur la Romanche, une fois par semaine, je mesure l’ensablement (sable déposé sur le sol) en amont de chaque barrage. Selon les hauteurs d’eau relevées, les barrages sont vidés un à un pour réduire cette hauteur de résidus. L’eau est ensuite réintroduite petit à petit afin de chasser les dépôts en aval. J’apprécie particulièrement alterner mes activités entre la vallée de la Romanche et le plateau de la Matheysine car les paysages sont contrastés entre encaissement et horizons lointains.
Ici c’est le pays du caillou où les blocs de pierre ponctuent le fond de la vallée. Sur les versants, la roche en équilibre et les éboulements bruyants faisant partie du paysage sonore, rappellent l’omniprésence des risques naturels.
En cette journée printanière, avec l’association locale «Drac Nature», je participe à une opération de sauvetage des crapauds au niveau de la route qui longe le lac Mort étant donné que nous sommes en pleine période des grandes migrations.
L’après-midi est consacré à l’entretien de la végétation autour des ouvrages hydroélectriques. Les espèces invasives, comme les acacias et les frênes, sont retirées et des abattages / élagages sont effectués sur les sujets jugés trop proches des installations.
à la différence des berges du Rhône qui sont pâturées ponctuellement par les moutons, les abords enherbés de la Romanche étant trop étroits, ils sont entretenus par les barragistes (tonte, déneigement, etc.).
Une fois dans l’année, des lâchés d’eau importants sont réalisés pour tester les ouvrages et vérifier leur résistance. Lors de ces exercices de simulation de crues, le profil de la Romanche prend une toute autre forme dans les paysages de la vallée.
Les épisodes de crue impactent nos activités quotidiennes et marquent fortement les paysages. Celle de mai 2008 a été particulièrement violente car l’eau a emporté sur son passage la déviation en cours de travaux à Gavet. Cependant, cette catastrophe naturelle a permis aussi de tester les infrastructures en cours de réalisation et ainsi de reconstruire des aménagements plus solides. Notre rôle, lors des crues, est également de contrôler et gérer le débit de l’eau entre les différents barrages pour limiter autant que possible les dégâts et les volumes d’eau en aval de la vallée.
De manière quotidienne, nous assurons également la sécurité des usages sur la Romanche (kayakistes et pécheurs principalement) en les tenant informés des lâchés étant donné que les eaux proches des installations sont particulièrement poissonneuses.
Aujourd’hui le métier de barragiste n’est plus présent dans la vallée. Les barrages démantelés ont été remplacés par des ouvrages en partie souterrains qui offrent un gain de place au fond de la vallée. La rivière a retrouvé sa naturalité et les berges sont en cours de requalification par des voies douces et des plantations. Cependant, comme la rivière n’est plus séquencée par les ouvrages, le brouillard est davantage présent ».
La lecture des paysages est issue de la conjugaison des thématiques observées dans les chapitres précédents. Mais les paysages sont aussi constitués par le regard que l’on porte sur eux et des images que l’on s’en fait, nourris par un imaginaire social et culturel. On ne pourrait donc pas comprendre leur construction sans tenir compte des fondements culturels qui ont forgé leurs représentations sociales.
Voici quelques faits historiques et culturels locaux qui ont marqué les esprits, ont participé à la représentation sociale des paysages et influencent notre manière de les percevoir.