Des combes ou petits vallons occupés par l’élevage, la nuciculture et l’agriculture céréalière, encadrées de crêtes boisées et structurés en fond de vallées par les lignes des ruisseaux boisés
Une grande pente depuis le plateau de Chambaran jusqu’aux terrasses de l’Isère, revêtue d’un patchwork de cultures, rapiécée de noyers et cousue de grandes lignes de boisements
Des villages préservés, peu urbanisés, structurés en bourg-hameaux et constructions isolées sur les flancs des coteaux, composés de grès, calcaire ou pisé et galets roulés, produisant un habitat dispersé
Un patrimoine riche et entretenu, de châteaux et d’édifices religieux, églises et chapelles, stimulés par la présence du site inscrit de Saint-Antoine-l’Abbaye
Un paysage confidentiel, qui n’est pas encore reconnu comme un lieu touristique malgré la présence d’un important réseau de sentier pédestre
Les paysages des Coteaux du pays de Saint-Marcellin forment une mosaïque composite de motifs très diversifiés mais complémentaires, issus de la combinaison des activités liées aux spécificités du territoire, principalement l’élevage et la nuciculture, produisant le fameux fromage de Saint-Marcellin et la Noix de Grenoble.
Bien qu’ils soient relativement uniformes, les paysages présentent quelques différences entre le nord et le sud, ou entre le haut et le bas des pentes, essentiellement par leur relief et leur agriculture.
Au nord, le relief doux mais mouvementé permet une grande diversité de situations, crée constamment des basculements, d’une combe à l’autre, offrant des points de vue imprenables sur des paysages de qualité, menant le visiteur de surprise en surprise, toutes aussi agréables. Au sud, la qualité des paysages reste remarquable, mais ils sont plus ouverts, plats et « producteurs ».
En parcourant le territoire, on découvre une multitude de fenêtres sur le paysage, sans cesse cadrées par les crêtes qui dirigent notre regard. Les villages perchés ou à flanc de coteau, appuyés sur quelques petits replats, émergent du patchwork des fonds de vallées, tissu enherbé rapiécé de noyeraies et de cultures, cousus par les boisements des ruisseaux qui dévalent les pentes depuis les Chambaran.
Face à nous, le massif du Vercors s’impose en élevant l’horizon, spectacle remarquable dont chaque habitation peut jouir par temps dégagé.
« Aujourd’hui, la journée s’annonce bien. Le printemps qui arrive aussi. Comme tous les matins, je sors pour m’occuper des animaux. Le temps d’arriver à l’étable, située un peu plus bas sous la ferme, je regarde le soleil se lever au-dessus de nos montagnes. La lumière recouvre le bâtiment en bois de l’étable et commence à le réchauffer.
La vallée s’éclaire peu à peu. Le massif du Vercors est magnifique, saupoudré de la neige tombée cette nuit. On voit très bien les barres rocheuses ressortir de la neige. Avec le relief doux de nos collines et de nos coteaux, on a une très belle carte postale de la vallée de l’Isère. C’est ce que j’aime ici, l’ouverture du paysage : on a quelques boisements et aussi des vues lointaines sur la vallée.
J’arrive à l’étable. J’y rejoins mes bêtes, qui sentent la saison changer. En hiver on les garde au chaud, alors il faut les nourrir, pailler leur litière, les traire matin et soir, les mettre dans les meilleures conditions pour qu’elles produisent ce qu’il nous faut. On fait attention à leur bien-être. C’est pour ça qu’en étable les animaux sont libres, ils se font leurs petits coins, vont à la brosse automatique, etc. Et bientôt, elles sortiront comme elles voudront et rentreront le soir pour la seconde traite.
Plus tard dans la matinée, je vais continuer à m’occuper du bois. La période étant plus calme, je finis les piquets que j’ai commencé hier, pour un autre éleveur, un copain de la commune d’à côté qui veut refaire sa clôture. Cet hiver la taille du bois a été productive. En général c’est à cette période qu’il y a le bûcheronnage, la sortie du bois… jusqu’en mars-avril on rapporte le bois pour le sciage, la transformation pour le chauffage, le bois déchiqueté, etc.
Plus tard, quand les animaux seront dehors, on lancera les travaux de printemps, les premières fauches de l’herbe, les semis d’orge et de maïs pour compléter leur alimentation et la paille, en été, pour refaire un stock de litière.
Après les piquets, je pars poursuivre l’entretien des bois. Il y a encore quelques haies à entretenir, que j’avais laissées pousser l’année dernière, comme là-bas, il y en a une qui déborde trop sur la parcelle et qui tombe dans le ruisseau. Alors on la taille pour en faire du bois déchiqueté. En même temps, je profite de ce moment agréable. On a plein de ruisseaux par ici, même si on ne les voit pas beaucoup dans le paysage. Ils sont plus jolis à cette époque, avant qu’ils ne s’assèchent en été. J’aime faire ça : on travaille au frais sous les frênes, on n’est plus dans les grands paysages aux horizons lointains mais dans les ambiances de « cocons » des petits ruisseaux qui s’écoulent des Chambarans, plus haut là-bas…
Tant que je suis dans les pentes, je vais couper une ou deux branches du verger d’à côté, trop basses pour passer avec mon engin pendant la récolte à l’automne. Je reviendrai en fin d’après-midi m’occuper d’une parcelle que je viens de replanter, après les gros coups de vents de cet hiver. ça m’a rappelé la tempête de 82 : on en avait profité pour mieux structurer le verger, comme beaucoup de collègues qui avaient plutôt des lignes de noyers que des vergers. À cette époque les paysages ont changé, on a planté beaucoup plus de noyeraies.
Regardez, c’est cette parcelle là-bas : j’aime beaucoup y aller parce qu’elle me fait passer dans l’autre combe, derrière cette colline. Et dans cette combe on a un paysage différent, avec plus de noyers et moins de boisements. C’est cette diversité de paysages que j’aime chez nous. Monter un petit coteau, redescendre dans le bois, passer par le vieux village, de ce côté le paysage s’ouvre d’un coup sur les prairies, et plus tard on traverse un verger… comme les paysages de mon enfance, les petites exploitations avec 2 vaches, quelques noyers et pommiers pour échanger de la nourriture. Et maintenant je partage ces paysages avec ma fille, qui trouve un vrai plaisir à se promener quand elle revient par ici. Justement c’est aussi ça que j’aime bien, voir les choses évoluer, on s’adapte et on fait changer les paysages…
En début d’après-midi, je descends dans la plaine. J’ai une réunion du comité pour le Saint-Marcellin IGP et j’en profite pour apporter du bois à la chaufferie de Vinay et livrer des noix.
Je passe par la vallée du Vézy, pour aller plus vite. Et aussi pour passer dans ses beaux paysages, toujours très variés. On n’a pas des paysages de large plaine, on est toujours entre un versant boisé et un versant cultivé et pâturé, un peu d’ouverture, c’est jamais complètement fermé. C’est la richesse de notre territoire…
Parce qu’après, j’arrive dans la plaine. Près de Saint-Marcellin il y a toutes les usines et les zones artisanales, commerciales, les entrepôts de logistique… en plus c’est souvent les meilleures terres qui sont sacrifiées. Les grandes usines en plaine j’ai jamais compris l’avantage. Je sais bien que ça permet de vivre différemment, pas comme à la campagne, mais j’ai un peu de mal avec ces paysages où il y a trop de goudron dans les plaines…
Heureusement ça me rappelle mes grands-parents qui avaient une petite exploitation à Chatte, dans la plaine de l’Isère. Ils vivaient correctement avec 4 vaches, un hectare de noyers en tour de champ (les vergers n’existaient pas encore dans la plaine) et surtout quelques pieds de tabac, qu’ils faisaient sécher en haut dans la maison, comme les noix. C’est pour ça qu’il y a plein de beaux séchoirs dans la région, faits en bois et en pierre.
En fin de journée, en retournant à ma nouvelle parcelle, je remonte les pentes par la route de Varacieux et je peux encore contempler les paysages, inondés par la lumière de la fin d’après-midi.
Et je me dis que j’ai de la chance de vivre dans ces paysages et de les faire vivre. Dans notre métier on produit, mais aussi on entretient, on voit évoluer, les petits châtaigniers devenir grands, les bourgeons devenir taillis, on accompagne la nature, on gère ce qui est sur place, on renouvelle sans détruire, on utilise la nature sans la détériorer. Et en plus on fait tout ça ensemble avec les voisins. C’est pour ça qu’on a créé la coopérative, pour mutualiser nos travaux, rencontrer d’autres personnes, nous retrouver dans l’entretien de nos paysages. Oui, finalement, la coop c’est bien une association de personnes qui entretiennent le paysage. »
L’ensemble paysager des coteaux du pays de Saint-Marcellin constitue un des versants du bassin du sud Isère, depuis Tullins jusqu’à la limite du département au sud-ouest. Il est formé d’une grande pente orientée au sud-est, de combes encadrées de crêtes et de quelques replats en partie haute (750m), de plaines et vallées plus larges et de plateaux ou collines en partie basse (200m).
Les sommets de la pente, en limites nord et ouest de l’ensemble, tracent la ligne de partage des eaux entre les bassins de l’Isère et du Rhône (par les affluents Galaure et Rival). Comme le montre la carte, de ces hauteurs sont issus tous les ruisseaux qui alimentent l’Isère. Ils ont entaillé le versant pour creuser les combes qui accueillent les cultures et former les crêtes sur lesquelles les villages sont installés.
En bas du versant, ils affluent dans l’Isère en traversant les plateaux et les terrasses alluviales.
La pente générale, les petits vallonnements, les crêtes et petites collines du territoire permettent d’offrir de nombreuses vues lointaines, butant finalement sur le relief caractéristique du Vercors, toile de fond des paysages des coteaux du pays de Saint-Marcellin.
Le sol des coteaux de Saint-Marcellin est constitué de roches calcaire et de grès en profondeur. Cette roche apparaît lorsque l’on parcourt le territoire, sur les flancs des coteaux entaillés par les routes.
Dans les hauteurs, à proximité des sources des ruisseaux, apparaît également le substrat sableux et caillouteux très friable (1), drainant, sur lequel poussent les boisements débordant de l’ensemble paysager des Chambaran.
Plus bas, le sol est essentiellement constitué de molasse, mélange de grès, de calcaire et d’argile (2), répandue sur une grande partie du territoire, très propice à l’agriculture, tout comme les fonds de vallées constituées d’alluvions fins (3) ou de limons (4).
Et si le sol et l’agriculture sont particulièrement liés, la nature des roches se perçoit aussi dans l’architecture. On retrouve les matériaux dans les constructions locales, galets en partie nord (1), grès dans la partie sud (2).
Comme le montre la carte, une multitude de ruisseaux transversaux sillonne le territoire, griffant la terre pour sculpter le relief. Mais si l’eau est finalement peu visible dans les paysages, les ruisseaux de petits gabarits apparaissent par la présence des boisements linéaires qui les accompagnent (ripisylves) et des nombreuses combes et vallées.
L’eau se caractérise également par la présence de quelques retenues collinaires et de petits étangs situés sur les cours d’eau ou dans le fond des petites cuvettes constituées par le relief.
Si le territoire des coteaux du pays de Saint-Marcellin semble être très boisé, les cultures de noyers jouent un rôle prépondérant dans cet aspect. Elles occupent le paysage et procurent un couvert végétal remarquable, quasi plus important que celui des boisements.
En réalité, les boisements ne sont pas si importants, comme le montre la carte ci-contre. Ils sont généralement disposés en linéaires sur les crêtes et les coteaux, laissant les vallées à l’agriculture.
Comme énoncé dans le chapitre relief, les boisements accompagnant les ruisseaux sont les seuls étant perceptibles dans les plaines ou les fonds de vallées. Ils prennent une forme très linéaire, plus ou moins épaisse, que l’on peut observer depuis les points hauts. ▼
Les boisements sont principalement composés de feuillus, particulièrement remarquables à l’automne. Ils produisent un contraste de couleurs saisissant, entre la rousseur de leurs feuillages et le vert des prairies, accentuant la mosaïque paysagère.
L’essence dominante est le châtaignier. On trouve également quelques boisements de chênes et de robiniers, ou encore de résineux (surtout pin sylvestre), plus anecdotiques.
Le bois est également une des ressources principales du territoire. L’activité sylvicole fait partie de l’économie locale, exploitant quelques grands boisements, situés majoritairement en partie nord et à proximité des bourgs de Chatte et Saint-Lattier.
Mais il s’agit avant tout d’une activité complémentaire aux activités agricoles. Ainsi, les exploitants combinent la sylviculture, l’élevage et la nuciculture.
La présence d’un bon nombre de scieries en est la preuve : on en compte sept sur le territoire, situées près des grands boisements ou de Saint-Marcellin.
Les sols peu évolués et calcaires, les fluviosols autour des affluents de l’Isère et la topographie de faibles pentes douces et de petits replats permettent une gestion aisée des cultures tout en favorisant le drainage des sols. Comme indiqué dans le chapitre relief, il en ressort un terroir très propice à l’agriculture.
Les paysages de l’ensemble sont donc fortement dominés par l’agriculture, composés d’une mosaïque de motifs paysagers bien distincts, issus d’activités spécifiques au territoire :
La topographie, la qualité du sol et l’hydrographie forment des structures paysagères différentes entre le nord et le sud et entre le haut et le bas des pentes.
Paysages du nord
Comme énoncé page 8 (À premières vues), les paysages du nord du territoire sont plus fermés, cadrés par le relief et disposent d’un caractère intime. Ils sont composés d’une multitude de petites combes creusées par les ruisseaux qui les sillonnent, essentiellement tapissées de prairies et plantées de noyeraies. Les cultures sont peu apparentes, procurant un revenu complémentaire ou du fourrage pour les vaches.
Dans le sud, les paysages s’ouvrent, se simplifient et illustrent la grande production par des cultures monospécifiques. Les vallées plus larges et les plaines favorisent la présence des cultures, beaucoup plus forte. Les parcelles sont plus grandes, plus accessibles et les terrains sont plus plats, permettant une mécanisation et une irrigation plus aisées. La carte de la page précédente montre bien le territoire des grandes cultures, oléagineux, céréales et maïs, qui s’étend entre Bessins, Saint-Vérand et la limite sud du département.
Cependant, si les cultures d’oléagineux se concentrent particulièrement autour de Saint-Bonnet-de-Chavagne, où elles sont beaucoup plus nombreuses qu’ailleurs, les noyeraies ne disparaissent pas pour autant. La carte montre bien qu’au contraire, leurs parcelles s’agrandissent et elles participent également à la représentation d’un paysage illustrant la grande production.
« Les versants Sud-Est des Chambarans sont marqués par un réseau hydrographique dense et complexe, l’ensemble de ce grand paysage est une succession de vallons, plus ou moins parallèles, séparés par d’étroits interfluves. Prairies, cultures et bois se partagent, en une fine mosaïque irrégulière, un territoire parcouru par de nombreuses petites routes. Plusieurs routes départementales assurent les échanges avec la vallée de l’Isère et le plateau des Chambarans. »
Si les différentes activités agricoles génèrent des paysages bien spécifiques, elles ont avant tout pour objectif d’être nourricières.
C’est le cas des coteaux du pays de Saint-Marcellin, peut-être plus qu’ailleurs dans le département, dont les paysages peuvent être qualifiés de nourriciers. La qualité de leurs productions, reconnues et protégées, pourraient même nous amener à les désigner comme des paysages « gastronomiques ».
Les labels sont de formidables outils pour favoriser une filière économique et ancrer une activité dans un territoire. Les coteaux du pays de Saint-Marcellin sont soumis à différents labels, dont les motifs paysagers sont représentatifs.
* IGP : Indication Géographique Protégée
** AOP : Appellation d’Origine Protégée (anciennement AOC, Appellation d’Origine Contrôlée
Les coteaux du pays de Saint-Marcellin sont très prisés. À tel point que les logiques d’implantation et l’organisation en bourg, hameaux dispersés et exploitations isolées sont aujourd’hui peu lisibles, du fait de l’implantation de nombreuses habitations disséminées sur tout le territoire, formant un habitat très dispersé.
Mais si ce type d’occupation est également lisible sur les cartes historiques (points rouges carte ci-contre), c’est-à-dire existant depuis de nombreuses années, la situation actuelle est encore plus ostensible.
L’implantation du bâti est visible à travers l’installation des bourgs. Ils sont implantés sur les coteaux, à proximité de l’eau mais en hauteur, souvent dans la pente ou profitant des petits replats.
L’architecture locale reflète parfaitement la géologie de l’ensemble paysager. Les matériaux utilisés sont le grès, le calcaire ou la terre crue (technique du pisé) pour les murs et l’argile pour les toits, traditionnellement couverts en tuiles écaille lorsque la pente est forte ou en tuiles canal lorsque la pente de toiture est faible.
Aujourd’hui, la tuile écaille est souvent remplacée par la tuile mécanique, moins onéreuse. Ces matériaux sont très utilisés à l’approche des Chambaran, où l’on trouve davantage de constructions en pisé et galets roulés disposés en chevrons.
Jusqu’au début du siècle, les bâtiments d’habitation sont en général assez massifs, d’un seul tenant carré, à un ou deux étages, couverts de toitures à 2 ou 4 pans peu pentus et à débords importants. Les murs sont composés de pierres taillées grossièrement, en façade ou dans les chaînages, encore assez visibles mais parfois enduites de ciment.
Les bâtiments d’exploitation sont dissociés des habitations, parfois attenants comme les étables, disposant de toitures plus larges. Pour la culture de la noix, les exploitations ont des séchoirs, constructions à part entière, traditionnellement en pierre et bois, largement ouverts pour faire circuler l’air.
Le bâti construit récemment (à partir des années 80) dans l’ensemble paysager n’échappe pas à la tendance nationale de la construction galopante. De nombreuses constructions contrastant avec les constructions antérieures sont visibles dans le paysage.
Sur les coteaux, il s’agit avant tout de constructions isolées, bien que l’on trouve quelques petits lotissements, comme on en trouve majoritairement dans le bas des pentes, où le relief est plus propice. Car les constructions récentes s’agrègent parfois aux hameaux existants mais s’implantent aussi de manière isolée.
Le relief contraignant a également empêché la prolifération de zones d’activités économiques, inexistantes dans l’ensemble paysager.
Au fil des nombreuses situations paysagères, on surprend peu à peu les éléments discrets du patrimoine local. La modestie des édifices patrimoniaux le rend peu perceptibles, mais les rencontres fortuites ne sont pas rares.
Le patrimoine bâti est constitué d’un élément phare : le village médiéval de Saint-Antoine-l’Abbaye, site inscrit au titre des Monuments Historiques, très fréquenté et bien entretenu, dont l’attractivité principale est l’église abbatiale.
La présence des Antonins, créateurs de l’abbaye au XVème siècle, a favorisé l’essor du territoire et impulsé la création d’éléments patrimoniaux. Bien que tous ne soient pas directement liés à l’ordre des Antonins, de nombreux éléments patrimoniaux jallonent le territoire :
Si les paysages des coteaux du pays de Saint-Marcellin sont empreints d’un charme certain, ils le doivent sans doute à l’absence de grands équipements routiers ou de sécurité.
Aucune grande infrastructure ne traverse le territoire et les routes qui le sillonnent restent modestes, peu marquées au sol et bien intégrées. Aucune route ne se détache de manière frappante. La seule route qui marque le paysage en interpellant le regard à maintes reprises est tracée dans la toile de fond, sur la face ouest du massif du Vercors. Présente régulièrement lorsque le regard prend de la hauteur, elle reste incontournable dans le paysage (photo ci-dessous).
La particularité notable des routes est leur aspect sinueux lorsqu’elles descendent les pentes, parfois sous le couvert végétal, parfois en balcon, offrant des vues très lointaines et remarquables et permettant la découverte des paysages dans des situations diverses.
L’organisation du relief en une multitude de petits vallons, tous créés par les ruisseaux dévalant les pentes, contraint à aménager des routes surélevées pour les traverser. Il s’agit d’une des particularités du territoire : on rencontre de nombreuses « routes-ponts » « routes-digues », profitant des barrages des retenues d’eau, en parcourant le territoire.
Mais la meilleure façon de découvrir les paysages des Coteaux du Saint-Marcellin est sans doute la voie pédestre. De nombreux GR et GRP sillonnent le territoire, livrant les paysages aux points de vue remarquables qu’ils traversent, très appréciés des nombreux touristes et randonneurs, souvent attirés en premier lieu par la présence de l’abbaye de Saint-Antoine.
La lecture des paysages est issue de la conjugaison des thématiques observées dans les chapitres précédents. Mais les paysages sont aussi constitués par le regard que l’on porte sur eux et des images que l’on s’en fait, nourris par un imaginaire social et culturel. On ne pourrait donc pas comprendre leur construction sans tenir compte des fondements culturels qui ont forgé leurs représentations sociales.
Voici quelques faits historiques et culturels locaux qui ont marqué les esprits, ont participé à la représentation sociale des paysages et influencent notre manière de les percevoir.
Les paysages des Coteaux du pays de Saint-Marcellin sont également représentés comme des paysages de campagne pittoresques et bucoliques, faisant partie intégrante de la campagne douce et verdoyante du département de l’Isère.
Au-delà d’une réalité certaine, cette image de ruralité s’est construite avec la pratique de l’élevage, très répandue sur le territoire depuis des siècles et produisant des paysages de vertes prairies tapissant le relief ondulé des crêtes et des combes.
C’est pour produire le fromage de Saint-Marcellin que ces prairies sont entretenues, bien que le lait des vaches qui les pâturaient devait certainement servir à de multiples fonctions alimentaires. Le fromage de Saint-Marcellin est donc lui aussi un des éléments fondateurs des représentations sociales paysagères de la campagne verdoyante et vallonnée, participant activement à la construction de la culture iséroise.
Mais étrangement, rares sont les étiquettes du fromage de Saint-Marcellin jouant sur les paysages, comme la plupart des illustres fromages français (Reblochon, Camembert, etc.). On sait bien que les représentations sociales paysagères se fondent aussi à travers le goût, et sans doute inversement, le paysage étant une marque de fabrique parlant au consommateur. Sur l’image ci-dessus, les grands éléments des paysages locaux sont représentés, caricaturalement, voire de façon réductrice. On retrouve le village de Saint-Antoine-l’Abbaye, dans un écrin de verdure, sur un coteau de l’Isère, le Vercors en toile de fond.
Comme on a pu le montrer dans le chapitre sur l’agriculture, les paysages de l’ensemble renvoient aussi à l’image d’un territoire nourricier. Cette notion est due, entre autres, aux différents labels gastronomiques qui encadrent les productions alimentaires locales, faisant bénéficier le territoire d’une assise commerciale solide.
Cette image a commencé avec un épisode incontournable de l’histoire iséroise : la foire de Beaucroissant.
En effet, c’est à cette occasion que le Saint-Marcellin a connu une forte dynamique ayant conduit à sa labellisation, bien qu’elle ne se concrétisa que 150 ans plus tard.
Le fromage était déjà connu nationalement depuis le XVème siècle pour alimenter les tables royales, mais c’est en 1863 à Beaucroissant que Casimir Perrier, illustre figure dauphinoise, a décrété son affection pour le fromage de Saint-Marcellin et l’a élevé au premier rang des richesses gastronomiques françaises.
C’est ainsi que les paysages de l’ensemble paysager bénéficient d’un caractère nourricier de qualité, à travers les labels dont ils sont à l’origine. Cependant, on peut noter la difficulté à faire le lien avec les politiques d’aménagement et de valorisation touristique du territoire, donnant le sentiment d’une faible conscience des atouts indéniables des paysages des Coteaux du Saint-Marcellin.
Si la richesse patrimoniale du territoire est sans doute ancestrale, les premières traces de l’occupation du territoire remontant au moins jusqu’aux Allobroges, voire même avant. Mais le fait le plus marquant de son histoire, que l’on retrouve aujourd’hui dans les paysages des Coteaux du Saint-Marcellin, est la construction de l’église abbatiale de Saint-Antoine-l’Abbaye. On la doit à l’ordre des Antonins, qui ont lancé sa construction au XIIème siècle. Elle a duré plusieurs siècles, étapes par étapes, en étendant le prieuré de base jusqu’au XVème siècle.
Dès sa construction, accompagnée d’un hospice destiné à soigner les malades de la peste et de la lèpre, l’église devint un lieu très fortement réputé et fréquenté, voyant affluer des milliers de malades et de pèlerins venus vouer leur culte aux Antonins.
On peut penser que tout au long de son activité ecclésiastique, le site de l’abbaye a stimulé la dynamique locale de construction d’éléments du patrimoine bâti comme de nombreux édifices religieux, châteaux, etc. (voir chapitre bâti).
Aujourd’hui, le site en lui-même, un des hauts-lieux du patrimoine et un des étendards du tourisme isérois, est un moteur de la fréquentation du territoire local et du département. Il participe fortement à la représentation attractive des paysages des Coteaux du pays de Saint-Marcellin et reste ancré dans la mémoire collective comme un de leurs éléments paysagers fondateurs.
L’église abbatiale reste un lieu touristique, inscrit aux monuments historiques depuis 1840 par Prosper Mérimée, puis l’abbaye en 1981, le site du bourg et environs ayant été inscrit en 1946. Le village est également classé parmi les «Plus beau village de France » en 2010.